Au lendemain du colloque de la Chaire Francqui (4 mai 2018)

Que s’est-il exactement passé hier, vendredi 4 mai 2018, à l’université Saint-Louis-Bruxelles, lors du colloque « Contrôles et hospitalités. Vers des politiques migratoires qui renforcent la démocratie contemporaine », tenu à l’occasion de la prestigieuse Chaire Francqui «International Professor» attribuée à François Crépeau (McGill, Canada)?
László Trócsányi, le ministre hongrois de la justice du gouvernement Orban, a-t-il finalement eu « peur » de la confrontation avec un panel d’académiques spécialistes de la migration opposés à ses thèses ? S’est-il senti « menacé » par une carte blanche parue la veille dans un journal belge et co-signée par 13 académiques belges (dont je fais partie) ? Ou nous a-t-il adressé à toutes et tous un cinglant pied de nez, en nous prenant les uns et les autres à notre propre piège, celui des « limites » du critère de la « convenance » ou de « l’inconvenance » académiques ?
1. L’envoûtement d’un absent
Je prendrai comme premier fil conducteur la reconstruction de ma perception en « live » : retenue par d’autres obligations, j’arrive pile à 10h, espérant que la communication de Mr Trócsányi, annoncée pour cette heure, n’ait pas encore commencé. Quand j’entre dans la salle, archi-pleine et que je me cherche une place, je ne reconnais pas la voix, mais j’entends son discours. Mon travail sur le théâtre et la critique platonicienne de la dangerosité de la mimèsis[1], me sensibilise d’emblée à la « scène » qui s’offre à moi : Jean-Yves Carlier, en train de lire le texte deMr Trócsányi. En bonne logique académique des titres et des usages : le Président de séance lit la communication d’un orateur qui n’a pas pu venir en dernière minute (nous avons tous déjà été confrontés à ce cas de figure, hélas quasi banal). Je n’ai pas entendu la justification donnée à l’absence de Mr Trócsányi. Ni non plus la manière dont Jean-Yves Carlier a (ou n’a pas) « introduit » son acte de lecture. Or, ce sont des éléments importants (comme on sait, le péritexte fait partie de la constitution de sens du texte). Ma perception a donc quelque chose de tronqué, qui entend cette lecture « en cours ».
Ce nonobstant, une autre « lecture » de la scène s’impose à moi : un intellectuel engagé, en désaccord sur le « fond » avec les positions « connues » de l’auteur du texte qu’il lit, est en train de lui donner sa voix, et, ce faisant, il incarne son propos pour toute l’assemblée. A ce stade, je n’entre pas encore en matière sur le « fond » du propos de MrTrócsányi. Je résumerai simplement en disant qu’il s’agit d’un discours de pure propagande, dans la plus éclatante tradition de ce « style ».
Ce n’est que le lendemain matin que j’ai pris conscience, et avec un malaise certain, du fait que, comme toute l’assemblée,j’avais écouté sans broncher ce discours de propagande. Sur le moment, j’ai réagi, comme tout le monde, comme Francesco Maiani, l’orateur suivant, l’a résumé, lui aussi « contraint » par la force du dispositif : « il y aurait beaucoup à dire sur le discours de Mr Trócsányi, mais on ne peut pas adresser de contre-arguments à un absent. »
Chacune des énormités énoncées dans ce discours aurait à coup sûr suscité, que sais-je, au moins un frémissement, un bourdonnement, voire un chahut, si c’était Mr Trócsányi qui l’avait prononcé. Mais quel sens à « chahuter » la voix monocorde de Jean-Yves Carlier[2] ?
Après l’exposé de Francesco Maiani, je remarque la longueur significative du silence qui suit l’annonce de l’ouverture des débats, par Jean-Yves Carlier redevenu lui-même, en sa fonction de présidence de séance…Chacune des questions qui s’égrènent ensuite un peu péniblement s’adresse, « évidemment », à Francesco Maiani, l’orateur qui a parlé à l’unisson du sens. Seul Martin Deleixhe tente un « commentaire » (il insiste bien sur le fait qu’il ne peut s’agir d’une question) sur le propos de MrTrócsányi, en le situant sur le terrain de la logique de l’argumentation : la tripartition proposée par MrTrócsányi entre les positions possibles face à l’immigration repose sur une pétition de principe. Bien essayé. Mais ça ne suffit pas. Le discours de propagande n’a pas pu être publiquement déconstruit point par point, comme il aurait dû l’être.
Seconde initiative marquante selon moi : Jean-Yves Carlier clôture sa présidence à cette première demi-journée en évoquant « le pas suspendu de la cigogne » d’Angelopoulos. Il précise que ses étudiant.e.s connaissent bien sa prédilection pour ce film. Mais ce qui me frappe est qu’il qualifie Angelopoulos de « poète », en s’étendant un peu plus longuement qu’il n’aurait dû et sur l’interprétation de cette « image poétique » et sur la capacité du poète à « saisir », de manière visionnaire, la complexité des enjeux liés aux frontières. J’ai pensé par après qu’en réalité, ce qu’il avait fait, c’était se désenvoûter en recourant à l’image poétique. Se laver la bouche de tous les mensonges qu’il s’est entendu proférer. Je ne connais pas Jean-Yves Carlier, mais c’est très certainement quelqu’un pour qui la poésie compte, vitalement (ce n’était pas une référence par « coquetterie » érudite, comme c’est souvent le cas).
Troisième tentative, celle de Francesco Maiani lorsqu’il met en évidence le fait qu’il se méfie « toujours » de l’ajout d’adjectif. Pour enchaîner, du général au particulier : « donc, que veut dire Mr Trócsányi lorsqu’il dit que la Hongrie ne veut pas de l’immigration « excessive » ? Personne n’aime l’excès ! » (tout le monde déduit la conclusion, qu’il n’a pas besoin de donner autrement que par l’ironie de son ton, puisqu’il la connaît par cœur, comme nous tous: Mr Trócsányi est contre l’immigration tout court).
Comme on voit, quand on fait entrer l’ombre du « loup idéologue » dans la bergerie ouverte des universitaires, personne n’arrive à contrer frontalement son discours. Seules des résistances « latérales » ont pu être exprimées, prenant appui sur des « points de langage »
Mais pas de contre-arguments en bonne et due forme.
Or, comment le discours écrit de MrTrócsányi se concluait-il ? (il faut toujours se représenter qu’il était lu par la voix de J.Y. Carlier) : « J’espère avoir pu vous faire comprendre que la position de la Hongrie se défend politiquement et intellectuellement. Néanmoins, je suis là(je souligne) pour entendre vos contre-arguments. Je suis un universitaire comme vous, sensible à l’importance de la disputatio, cet échange d’arguments et de contre-arguments qui est l’une des meilleures habitudes universitaires et dont je regrette qu’elle soit si souvent absente des cénacles politiques. »
Premier bilan : la Hongrie a pu « expliquer sa position en matière de politique migratoire »… c’est-à-dire développer sa propagande en toute impunité.
Deuxième bilan : celles et ceux qui l’ont invité ne « lui » ont pas adressé de contre-argument. Car on ne peut pas argumenter avec un « absent. »
Troisième bilan : celles et ceux qui se sont mobilisé.e.s contre sa venue à l’université sont des ennemi.e.s de la liberté d’expression (puisqu’ils ont voulu empêcher la prise de parole de quelqu’un qui se présente comme un fervent pratiquant de la disputatio et qu’il appelle lui-même de ses vœux la réfutation).
La messe est dite.
2. La Chouette de Minerve…prend son envol toujours trop tard ?
Tout cela, tout cela, j’aurais dû le voir, le penser, y réagir, en situation. Pas le lendemain. J’avais lu le plus possible les jours précédents, contacté une amie chercheuse hongroise pour lui demander des sources d’informations, réfléchi à la manière dont j’aurais pu interpellerMr Trócsányi, ni en spécialiste de la migration, ni en militante politique que je ne suis pas, mais en simple citoyenne, inquiète de l’avoir entendu affirmer avec force dans les médias les principes qui lui font défendre sa politique de fermeture des frontières : son opposition de fond à la société « ouverte » et à la multi-culturalité, vue comme un danger pour la nation, puisqu’il considère que cette dernière doit être « homogène.»
Dans le discours que j’ai entendu au sein de « mon » université, dans la salle dite des « examens » où je suis censé.e. évaluer le rapport au savoir et donc pour moi, avant tout, l’esprit critique de mes étudiant.e.s, ces principes aux réels relents d’années 30 étaient bien présents, derrière le vernis policé d’un exposé qui se voulait, en surface, structuré par une logique universitaire (typologie, « état de la question », etc.). Les grands médias, comme d’habitude, ont accru la confusion en surfant sur les signifiants (de « docteur honoris causa » en « chaire Francqui ») au lieu de clarifier les enjeux, lorsqu’ils ont comparé la polémique relative à l’invitation de Trócsányi avec celle, ridicule, au sujet du prétendu « antisémitisme » de Ken Loach.
Je résumerai donc ici la ligne de force de son discours, pour ensuite en venir aux arguments de celles et ceux qui, tout en ayant en commun leur rejet de la politique en matière de migration du gouvernement hongrois, ont néanmoins adopté une position opposée quant à la décision de l’inviter à s’exprimer à l’occasion de la Chaire Francqui.
3. Du poids symbolique des mots et des actes
Contrairement à ses prises de position « musclées » dans la presse, sans doute liées à une « opinion publique » de plus en plus favorable à des thèses comme les siennes, MrTrócsányia choisi la ligne claire de la séduction par « déplacement » sur le terrain de l’adversaire pour ce discours, présenté dans un cadre académique. Rappelons qu’il entend nous persuaderque la politique hongroise se défend aussi bien politiquement qu’intellectuellement. Dès lors, il présente la construction de la clôture anti-migrants comme étant la conséquence de « la contrainte » que l’afflux soudain et massif de 400 000 personnes en 2015 a fait peser sur le gouvernement, compte tenu du refus de tous ces migrants illégaux de coopérer avec l’administration. Le coût de 800 millions de ladite clôture a été intégralement payé par les contribuables hongrois, précise leur Ministre, alors même qu’elle constitue selon lui une des protections pour « toute » l’Europe [3]. Il espère que l’UEs’en souviendra…Mr Trócsányi« oublie » de préciser que c’est lui qui criminalise ces migrant.e.s qui transitent par son pays, en ayant promulgué une loi contraire au droit international, suite à laquelle les demandeurs d’asile sont « cantonnés pour une période indéfinie dans des « zones de transits » où ils dormiront dans des conteneurs encerclés de barbelés. Une prison à ciel ouvert.[4] » La Cour Européenne des Droits de l’Homme a d’ailleurs condamné la Hongrie en mars 2017 pour le traitement dégradant réservé aux migrants. Mr Trócsányi« oublie » aussi les milliers de Hongrois.e.s migrant.e.s : toutes celles et tous ceux qui, en 1956, ont dû fuir les chars soviétiques et qui ont été accueillis en Europe…
Par ailleurs, les critiques internationales ont selon lui érigé la Hongrie en « bouc-émissaire », car la Hongrie n’est pas, loin de là, le seul pays à avoir renforcé le contrôle de ses frontières (il cite l’Autriche, la Bulgarie, mais aussi l’Espagne et la France). En cela il a malheureusement raison,mais tout le monde ne met pas en place des unités spéciales de « chasseurs » qui traquent les migrant.e.s sur la frontière [5].
MrTrócsányi esquisse alors une typologie tripartite des positions en matière d’immigration : selon lui, il y a :
ceux qui voient positivement le multiculturalisme,sont en faveur d’un citoyenneté cosmopolitique et favorisent donc l’immigration qu’ils voient comme un « bien [6]».
l’approche technocrat(e)ique (celle de l’UE) : qui prend acte de l’impossibilité d’endiguer la migration et considère qu’il faut donc la « gérer ». Selon lui, l’UE pratique en fait une solidarité « intéressée », en triant entre les « bons » migrants (formés) et ceux qu’il faudrait « relocaliser »
la dernière position, qui est celle de la Hongrie, est quant à elle favorable à la prise en compte des particularités des états membres. Elle considère que l’immigration « massive » n’est pas une bonne chose, même s’il est du « devoir moral » des Etats d’aider les migrants. Elle considère qu’il faut plutôt arrêter les crises et « aider les gens à rester dans leur pays dans des conditions dignes. » Ah, ça mais nous sommes donc tous d’accord ! Personne ne quitte volontiers sa patrie en laissant tout derrière soi… Mais en réalité, ce qu’il faut lire derrière ce souci « altruiste » c’est l’injonction du « chacun chez soi ». Et derrière cet égoïsme, ce qu’il veut vraiment préserver, c’est encore et toujours « l’homogène ». L’unité d’une culture chrétienne (on n’ose même pas dire judéo-chrétienne), qui se fond elle-même dans la « pureté ethnique »[7].
A partir de là, l’exposé se concentre sur l’énumération des hauts faits de la Hongrie en matière de « salutaire » prévention des conflits : les montants alloués, par ex. à un fonds européen pour l’Afrique. Mais surtout, MrTrócsányi insiste sur l’importance de l’éducation, en mettant en avant la prise en charge, par le gouvernement hongrois, des frais d’inscription de plus de 2000 étudiants venant de pays en crise. Il évoque aussi la création d’un master de deux ans en coopération, sur son initiative, qui accueille chaque année une trentaine d’étudiants en provenance de pays africains. Cette insistance sur l’importance de l’éducation résonne étrangement pour qui sait la véritable guerre à laquelle se livre le gouvernement Orban contre l’université fondée par Soros[8]. Je n’évoquerai ici que la liste noire de 200 universitaires suspectés d’être des « agents » du multimilliardaire Soros et de « conspirer » contre le gouvernement hongrois. Le seul « crime » de la plupart de ces professeurs se limite en réalité à enseigner dans le cadre de cette université…[9]
Dans son récapitulatif, MrTrócsányi insiste sur ces deux points : primo, la position hongroise est qu’il faut assurer un contrôle des frontières pour protéger l’Europe et assurer une Europe forte et prospère…ce qui serait dans l’intérêt des migrant.e.s eux-mêmes. Secundo, le gouvernement hongrois considère qu’il faudrait une meilleure réflexion et une meilleure aide sur les causes des migrations. In fine : malgré tout, la Hongrie veille à ce que « la situation de toute personne se présentant à sa frontière soit examinée légalement et humainement. » Et tel serait bien le cas ! La frontière ne serait pas « une zone de rétention » en Hongrie…Là on croit rêver…Rappelons ce mot de Victor Orban : « chaque migrant représente un danger en termes de sécurité publique et de terrorisme[10]. » Et l’affaire Ahmed H., « symptomatique de la démocratie non libérale » de la Hongrie selon Amnesty International [11]. On rappellera que, sous le coup de fausses accusations de terrorisme, cet homme avait été condamné à 7 ans de prison, alors qu’il avait expliqué à la Cour être parti de chez lui, Chypre, pour aider ses parents âgés et d’autres personnes de sa famille à traverser l’UE, après qu’ils aient fui la guerre en Syrie.
Était-il donc légitime d’inviter l’auteur d’un tel tissu de mensonges dans un colloque universitaire dont l’enjeu est de repenser en termes dialectiques le rapport (en apparence contradictoire) entre « contrôle » et « hospitalité » ?
Les arguments de ceux qui justifient cette invitation sont les suivants : pour qui veut réellement « penser et agir Europe » le débat avec de telles prises de position est nécessaire. MrTrócsányi représente l’opinion publique d’une partie non négligeable d’Européen.ne.s dont on doit tenir compte. Les débats strictement entre universitaires, en général « d’accord sur le fond » et pour beaucoup engagé.e.s en faveur des migrant.e.s, ne font pas « avancer », réellement, concrètement, les choses. Comme l’a résumé un collègue : « ça fait 20 ans que je travaille sur la migration… Francken se fout pas mal de ce qu’on écrit, il mène sa politique comme il l’entend. Donc, parfois, il faut prendre le risque d’aller au charbon. » Inviter MrTrócsányi, c’était le faire venir sur « notre » terrain et ne pas lui laisser d’échappatoire : il allait devoir « rendre raison » et s’expliquer face à toute une série de spécialistes, à l’unanimité en désaccord avec ses positions. D’autres, en rebondissant sur l’image (à mon sens très discutable et dans laquelle je ne me reconnais pas) de « l’université-sanctuaire [12]» considèrent que, précisément, tel est le rôle de l’université : être ce lieu « préservé » et privilégié qui entend jouer le jeu du débat démocratique avec quiconque, y compris, donc, ceux qui ne respectent pas les principes de base de la démocratie. Tous ces arguments sont « recevables ». Ils « se tiennent » et disent le désir légitime de « se confronter à la réalité » d’académiques travaillant trop souvent en vases clos. Mais…
Comme d’autres, j’ai estimé qu’il y avait là une limite dangereuse à franchir. D’une part, le «cadre» nous posait problème : une invitation émanant d’une chaire qui engageait 6 universités, donnant la parole à un seul homme politique (comme le disait un collègue : « pourquoi ne pas avoir invité Cohn-Bendit en face, si on voulait du débat contradictoire ? »), De surcroît, il avait été invité à assumer deux positions (la symbolique est très forte, dans ces cas-là) : celle d’orateur et celle de Président de la seule table ronde, qui clôturait d’ailleurs la journée, sur « le rôle du juge ». Cela alors que son gouvernement ne respecte pas la séparation des pouvoirs[13].Qu’il utilise des méthodes totalitaires et limite la liberté d'expression, par la mainmise sur la justice et sur les médias[14].
Qui plus est, est-ce vraiment « pro-européen » d’offrir une tribune si prestigieuse à Mr Trócsányi, quand, tout récemment, la lecture d’un rapport commandé par l’UE sur l’état des libertés en Hongrie, rédigé par Judith Sargentini, une députée écologiste néerlandaise, a donné lieu à un bel aperçu de ce qu’est la réaction véritable du gouvernement hongrois aux « contre-arguments » : Peter Sjzijarto, le ministre des affaires étrangères et du commerce hongrois a été d’une rare violence à l’encontre de l’Eurodéputée[15].
Oui, évidemment, il faut néanmoins persister et il est nécessaire de s’affronter à quelqu’un comme MrTrócsányi. Mais, dans les assemblées politiques, dans les médias, pour qui serait invité par un tiersà se confronter à lui. Mais prendre en charge, activement, la responsabilité de l’inviter au nom de notre institution ? Il faut penser au poids symbolique de l’acte : inviter = cautionner.
La logique de la visibilité médiatique, dont nous sommes en permanence victimes, ne peut qu’imposer ce type de raccourci. Car qui aurait relayé les débats internes, aussi virulents eussent-ils été ? Qui se donnera la peine de lire « les actes du colloque » ? Pouvions-nous prendre le risque de ne serait-ce que « donner l’impression » de « cautionner » le représentant d’un gouvernement aussi ouvertement xénophobe et qui bafoue les libertés fondamentales de tous (y compris de sa propre population) ? Quid aussi de la solidarité avec nos collègues universitaires qui sont clairement l’objet de persécutions de la part du gouvernement Orban ? Car la situation de nos collègues hongrois me semble, hélas, fort comparable à celle de nos collègues turcs …
4. Et après ?
Et après, comme m’ont dit certains, à quoi sert-il de déployer tant d’énergie et de se mobiliser pour un ministre Hongrois, si on ne balaie pas d’abord devant sa porte ? L’histoire de la paille et de la poutre, n’est-ce pas ? Sauf qu’en l’occurrence, c’est d’un mur bien dur, à des stades d’avancement divers, qu’il s’agit… Ne jouons donc pas aux «trois petits cochons», quand l’heure n’est plus « à la politique de Bisounours envers les illégaux », comme l’a tweeté Théo Francken (le 3 mai, la veille du colloque), dont la politique à l’immigration bafoue de plus en plus ouvertement les principes de l’Etat de droit. Dans le même tweet: sa réponse lapidaire « à la Trump », suite à la demande d’aide financière de la Région bruxelloise au gouvernement fédéral, afin de pouvoir assumer l’accueil des personnes sans titres de séjour : « 0 euro. » Nous sommes-nous suffisamment mobilisé.e.s contre la politique de Francken ? Contre les visites domiciliaires ? Contre l’ignominie de la collaboration active du gouvernement belge lors du renvoi des Soudanais torturés dès leur « retour » ? Etc., etc. Avons-nous suffisamment assiégé les médias, les petits et les grands, et dans tous les formats?
Laszlo Trócsányi n’est qu’un « symptôme » de la politique générale adoptée par le gouvernement de Victor Orban, xénophobe, liberticide, inégalitaire, même pour ses « propres » ressortissant.e.s, puisqu’il met aussi en question l’égalité homme-femme[16]. Et pourtant ce gouvernement a été élu démocratiquement. Je considère donc pour ma part que cetteHongrie-là n’a pas sans place dans une Europe démocratique. Et que l’UEdevrait en assumer les conséquences, en activant tous les mécanismes de l’article 7 du traité de Lisbonne.
Sophie KLIMIS, professeur de philosophie, Université-Saint-Louis-Bruxelles
[1] Très souvent mécomprise, la notion de mimèsisne doit pas être traduite par « imitation », mais par « simulation ». Dans la République, Platon évoque le grand danger que court celui qui incarne, notamment par sa voix, la parole de quelqu'un d'autre. Car d’après lui, l’âme de celui qui « simule » ne peut sortir indemne d’une telle expérience.
[2]Selon moi, ce « ton » monocorde est la « stratégie » qu’il a trouvée « sur le moment », consciemment ou pas, pour se distancier du propos de Trócsányi, puisque, en universitaire soucieux d’éthique et professionnel, il ne s’est permis aucun commentaire tout au long de sa lecture.
[3]C’est la Grèce qui constitue en réalité la frontière géographique de l’Europe…
[4]Le gouvernement hongrois ne respecte pas le droit international:
[5]https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/hongrie-orban-lance-ses-chasseurs-la-frontiere
[6]Ici, il dit très clairement son rejet du multiculturalisme et de la société ouverte : Ministre de la Justice hongrois : "Dans une famille, on ne met pas un membre sur le banc des accusés" - France 24
Le courrier d’Europe Centrale dénonce des années de propagande xénophobe. https://courrierdeuropecentrale.fr/retour-sur-quatre-ans-de-propagande-xenophobe-en-hongrie/
[10]Un autre article sur la condamnation par l’ONU de la loi hongroise sur la détention systématique des migrants : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/3098488/2017/03/07/La-Hongrie-reintroduit-la-detention-systematique-des-migrants.dhtml
[12]Utilisée dans la carte blanche que j’ai cosignée, parue dans le Soir du 3 mai : https://www.cartaacademica.org
[13] Au niveau de la justice, le président de la Cour suprême a été limogé pour des raisons politiques: http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/07/27/hongrie-le-juge-qui-a-dit-non-a-viktor-orban_4975348_3214.html.
Voir aussi : De la séparation des pouvoirs - opinion de l'ambassadeur de Hongrie en France | Visegrád Post
Et encore : Réforme de la justice : la Hongrie se range du côté de la Pologne face à l'UE — RT en français
[15]Empoignade autour d’un rapport du Parlement européen sur la Hongrie de Viktor Orban
Hongrie : Cour de Justice et Parlement, Commission européenne