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Au moment où un tribunal nord-américain rend justice à George Floyd, en Belgique…


Chronique rédigée par Daniel de Beer (USL-B), publiée en primeur sur le site du Soir



Aux États-Unis, on semble vouloir faire la lumière sur les affaires de violences policières, particulièrement si elles entraînent la mort d’une personne. En Belgique, il n’est pas sûr que ce soit le cas. En tout cas, à Gand, le 16 mars dernier, on a bel et bien mis le couvercle sur une affaire qui aurait dû connaître un procès public.


L’histoire, telle qu’elle est racontée ci-dessous est sans doute incomplète, peut-être bien biaisée, mais c’est celle qui ressort d’une décision de justice. Elle se passe à Roeselaere, en mai 2018. Monsieur Bangoura, d’origine guinéenne, se fait condamner à être expulsé de chez lui. Il ne s’est pas défendu au procès à ce propos. Le jour dit, un huissier chargé de l’expulsion, escorté de deux policiers, se présente au logis. Ils trouvent porte de bois et finissent par forcer l’entrée. Un chien hurle, menaçant, l’homme est allongé sur un divan. Moïse Lamine Bangoura crie, refuse de se calmer, se débat. D’après les policiers, il était dans un état d’agitation incontrôlable… Ils appellent des renforts. Ils sont alors huit policiers. Ils parviennent à entraver Monsieur Bangoura avec des liens et quatre d’entre eux le maintiennent sur le ventre. Une ambulance est appelée en vue, disent les policiers, d’administrer un sédatif au récalcitrant. Très peu de temps après l’arrivée de l’ambulance, on constate que Monsieur Bangoura est mort. D’après les médecins légistes, la cause du décès est une asphyxie positionnelle, c’est-à-dire le résultat de l’utilisation de certaines techniques de contention physique.


Une instruction et une décision de justice…

Suite à ce décès, une enquête a été menée par un juge d’instruction. Au terme de l’instruction, un tribunal, la chambre du conseil, doit décider de la suite. Attention, la chambre du conseil ne juge pas les policiers, ni ne décide si les faits ont été commis ou non. Elle peut prendre la décision de soumettre l’affaire à un tribunal correctionnel pour qu’il y ait un débat public et contradictoire, mise en jugement et acquittement ou condamnation. Elle peut aussi, si elle estime que le dossier ne contient pas assez d’éléments à charge des personnes accusées, ou que ces indices ne sont pas sérieux, décider que l’affaire ne vaut pas procès. Elle prononce alors un «non-lieu» et l’affaire en reste là. C’est ce qu’il s’est passé. En désaccord profond avec cette décision, la famille de la victime a fait appel. Le tribunal d’appel chargé d’examiner à nouveau le dossier était la chambre des mises en accusation de Gand. Une nouvelle fois, cette chambre n’est pas compétente pour juger de l’affaire. Elle a la même mission que la chambre du conseil. En l’occurrence, elle a confirmé le non-lieu. C’est de cet arrêt qu’il est question ici. La relation des faits qui précède, et les informations qui suivent, sont exclusivement tirées de cet arrêt.

Des éléments pour le moins gênants…

Les juges ont évidemment le droit de penser que les policiers ne sont pas coupables. Toutefois, il faut rappeler que, dans un État de droit comme le nôtre, la mission de ces magistrats n’était pas de juger les policiers mais d’examiner si l’affaire méritait un vrai débat en audience publique ou si le dossier était vide d’éléments sérieux et pouvait être clôturé.

Or, même en mettant de côté ce que dit la défense de la famille et en se limitant à ce que dit l’arrêt, il y a dans cette affaire des éléments pour le moins gênants, voire choquants. En effet, il a été décidé que, malgré ces éléments, la mort par asphyxie positionnelle de Monsieur Bangoura au cours d’une intervention policière ne méritait pas le débat public qu’entraîne un procès.

Pourtant, toujours à ne suivre que ce que dit l’arrêt, il y a des éléments troublants. Ainsi, on sait qu’après les événements ayant entraîné la mort de Monsieur Bangoura mais avant qu’ils soient entendus dans le cadre de l’enquête, il y a eu un debriefing des policiers. On comprend dès lors qu’il puisse y avoir un soupçon de collusion entre les policiers quant au récit de l’événement. La cour choisit d’y répondre en disant en substance qu’il est bon et normal que les policiers qui sont intervenus aient la possibilité de ventiler leurs émotions. C’est plausible, mais cela valait la peine qu’un tribunal interroge les policiers et qu’on en débatte.

Il y a aussi ce flou gênant sur ce qui s’est passé entre le moment où l’ambulance est appelée et la constatation du décès. On ne le sait pas précisément.

Toujours d’après l’arrêt, la victime aurait été droguée à la cocaïne et au haschich, sans pour autant qu’il ressorte que cela a un lien direct avec le décès. Il y avait sur place des chiffons avec de la salive de la victime. La famille de la victime suspecte qu’ils ont servi à nettoyer la victime, à maquiller les faits. Il est dit dans l’arrêt qu’ils ont été utilisés pour essuyer la victime lorsqu’elle a perdu connaissance. C’est possible, mais ici encore, une bonne justice demandait d’avoir un vrai débat à ce propos.

Ce qui incommode le plus fortement est qu’en bout de lecture de l’arrêt, on sait que les médecins légistes ont conclu à une asphyxie positionnelle–c’est-à-dire un décès dû à un mauvais usage de techniques de maîtrise–sans qu’il ne soit dit mot sur ce qui, précisément, l’a provoquée.

Cela fait beaucoup–non?–pour décider qu’on en reste là, qu’il n’y a «pas lieu» d’aller plus loin, qu’il n’y a pas d’éléments justifiant qu’un tribunal examine soigneusement les tenants et aboutissants de cette affaire, au cours d’un procès public et contradictoire. Oui, cet arrêt est révoltant.

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