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La face invisible du changement climatique


Chronique rédigée par Tom Dedeurwaerdere (FNRS/UCLouvain), publiée en primeur sur le site du Soir



Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) conclut, dans le dernier rapport publié le 9 août 2021, que le climat est en train de changer partout dans le monde et plus rapidement que prévu. Même en limitant le réchauffement climatique, les catastrophes naturelles devraient se multiplier. D’après le groupe d’experts, limiter le réchauffement climatique induit par l’homme à un niveau soutenable nécessite de limiter les émissions de CO2 qui s’accumulent dans l’atmosphère, atteignant au moins zéro CO2 net pour les décennies à venir, ainsi que de fortes réductions des autres émissions de gaz à effet de serre (Giec, 2021). (1)


Les grands médias focalisent souvent leur attention sur ces données physiques, produites par le fameux «Groupe de travail 1» du Giec, qui travaille sur les aspects physiques du changement climatique. Les autres rapports du Giec, qui abordent d’avantage les questions sociétales et les travaux d’autres panels scientifiques internationaux sur l’opérationnalisation plus poussée des actions à mener, sont moins portés à la connaissance du grand public, des décideurs et des parties prenantes. Ces travaux soulignent l’importance de créer des synergies et des co-bénéfices entre les différents aspects du développement humain, mieux connus sous le nom des «17 objectifs pour le développement durable» des Nations unies. La réalisation de ces co-bénéfices nécessitera de renforcer le lien social entre les différents acteurs impliqués dans la transformation de sphères vitales de l’activité humaine vers plus de durabilité comme l’alimentation durable, la mobilité, le logement ou l’organisation d’un accès pour toutes et tous à un emploi de qualité et porteur de sens.


Réaliser des co-bénéfices entre les objectifs de développement humain


En 2018, le Giec publie un rapport spécial sur le réchauffement de 1,5 ºC, qui situe l’analyse bio-physique dans le contexte sociétal plus large du renforcement de la réponse mondiale aux défis du changement climatique et du développement durable. Ce rapport analyse différentes stratégies permettant de réaliser des co-bénéfices souhaitables dans l’implémentation des actions pour limiter le réchauffement à 1,5 ºC. Les synergies possibles entre certains objectifs de développement peuvent être très fortes, spécialement entre les objectifs climatiques et des progrès dans le domaine de la santé, l’accès à l’énergie abordable et la consommation responsable (Giec, 2018, pp. 481-483). En même temps, un manque d’attention aux interactions entre les actions climatiques et les autres dimensions du développement humain peut entraîner des impacts clairement non souhaitables. Par exemple, via la concurrence pour les terres arables, ou en raison de la lutte pour l’appropriation et la dépossession des terres, le passage massif aux cultures pour les biocarburants et de captation de CO2 par la biomasse pourrait avoir des impacts négatifs disproportionnés sur les populations rurales pauvres et autochtones (GIEC, 2018, p. 462).


Plusieurs organisations internationales multilatérales ont établi des programmes de travail pour une action conjointe sur la durabilité écologique et sociale, comme par exemple le Panel International sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques (IPBES) ou la Division des Objectifs de Développement Durable des Nations unies. Cet élan renouvelé au niveau international pour prendre en compte conjointement les objectifs de durabilité sociale et environnementale a inspiré une multitude de nouvelles initiatives par les gouvernements, les entreprises et la société civile à travers le monde. Parmi les exemples bien connus, citons les régions à énergie positive ou les quartiers à énergie positive dans les villes et les zones rurales (2); la transition vers la mobilité douce dans de nombreuses villes avec des co-bénéfices en termes de santé et de création de nouveaux espaces publics (3); ou encore le travail sur les ceintures alimentaires autour des villes (4).


Intégrer les innovations sociales dans de nouveaux modes de mobilisation des connaissances pour la transition


Les étapes pour atteindre ces divers objectifs sont particulièrement difficiles à mettre en œuvre. Dans ce contexte, les décideurs politiques et les acteurs sociaux font souvent appel aux scientifiques pour les accompagner dans ce processus. Néanmoins, la compréhension des co-bénéfices envisageables et souhaitables, dans des trajectoires hautement contextuelles, nécessite de revoir nos méthodes de production des connaissances. D’une part la nature systémique, multidimensionnelle et hautement pluraliste des efforts de collaboration requis résiste aux modes traditionnels de prise de décision centralisés et appelle le développement d’approches interdisciplinaires qui prennent réellement en compte l’interdépendance et l’interaction entre les différentes dimensions bio-physiques et sociales de la durabilité. D’autre part, nous aurons besoin de processus de co-production de connaissances entre les scientifiques et les acteurs sociaux du changement, pour comprendre de façon contextuellement située des systèmes régénératifs à grande échelle, tels que des villes, des territoires ruraux ou des systèmes de production.


Par conséquent, pour réaliser l’impact souhaité sur les transformations à l’échelle de la société, une mobilisation plus large de toutes les catégories d’acteurs dans des modes de gouvernance et de recherche collaborative sera nécessaire, allant des chercheurs, entrepreneurs, associations et citoyens jusqu’aux politiques (5). L’émergence de réseaux intégrateurs à une échelle nationale et internationale comme le réseau td.net en Suisse ou des projets transdisciplinaires fédérateurs comme Mistra Urban Futures en Suède peuvent servir de sources d’inspiration.



(1) Giec 2021 : Headline Statements from the Summary for Policymakers.

(2) Coates, G. J. (2013). The sustainable urban district of Vauban in Freiburg, Germany. International Journal of Design & Nature and Ecodynamics, 8(4), 265-286 (available on line).

(3) Climate Change and Air Pollution–Research Needs and Pathways to Policy Implementation, a project at the Institute for Advanced Sustainability Studies (IASS).

(4) Fiche Thématique sur les ceintures alimentaires en Wallonie.

(5) Dedeurwaerdere, T. 2014. Sustainability Science for Strong Sustainability. Edward Elgar, 167 p. (open access).

De Schutter, O., & Dedeurwaerdere, T. (2021). Social Innovation in the Service of Social and Ecological Transformation : The Rise of the Enabling State. Taylor and Francis.

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