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La ministre Tellier "soumise" aux universités sur l’expérimentation animale?


Carte blanche rédigée par Eric Muraille (FNRS/ULB), publiée en primeur sur le site de La Libre



La décision de la ministre Céline Tellier de geler la réforme de la législation sur l’expérimentation animale indispose profondément S.E.A (Suppression des Expériences sur l'Animal), qui affirme : "Nous sommes profondément choqués par les pressions qui ont été exercées sur la ministre du Bien-Être animal". De son côté, Gaia déclare: "La ministre wallonne du Bien-Être animal plie sous la pression des lobbies en faveur de l’expérimentation animale". Et Michel Vandenbosch, président de Gaia, de conclure son pamphlet par une saillie à l’égard de la ministre: "Peut-être faudrait-il changer le titre de la ministre de 'ministre du Bien-Être animal' en 'ministre pour l'expérimentation animale'? Elle pourrait alors déplacer son cabinet dans l'une des universités wallonnes auxquelles elle s'est soumise".


Ces déclarations résument parfaitement l’image que veulent donner S.E.A et Gaia du conflit qu’entretient l’Administration de la Direction de la Qualité et du Bien-Être animal dirigée par Damien Winandy envers les scientifiques via son avant-projet d’Arrêté censé encadrer l’expérimentation animale. Car pour ces associations, tout se résume à du lobbying, des pressions… et des soumissions...


S.E.A milite pour l’interdiction pure et simple de l’expérimentation animale depuis des années. Les arguments pseudoscientifiques de son expert attitré, le vétérinaire André Ménache, ont déjà été maintes fois dénoncés et réfutés par les scientifiques. Il serait fastidieux d’y revenir.


Gaia est une asbl militant pour le bien-être animal, financée par les dons sur base de ses actions. Son activité principale est le lobbying, comme en attestent les fonctions des membres de son équipe sur son site. En pratique, plus on parle de Gaia, plus Gaia récolte d’argent, d’où le goût immodéré de M. Vandenbosh pour les déclarations lapidaires et les actions coup de poing. Une recette médiatique qui fonctionne très bien. Comme en atteste l’état florissant des finances de Gaia, dont se félicite d’ailleurs M. Vandenbosh.


A l’inverse, les scientifiques qui se sont opposés au nouvel avant-projet d’Arrêté sont des professionnels de la recherche scientifique. La plupart de ces chercheurs ont un statut de permanent académique ou FNRS. Leur salaire ne dépend ni de leur visibilité, ni du fait qu’ils pratiquent ou non l’expérimentation animale. Il est ainsi aisément vérifiable que le salaire d’un chercheur FNRS ou académique est rigoureusement le même, qu’il travaille en philosophie, en mathématique ou en biologie. A la différence de S.E.A. et Gaia, les missions prioritaires des scientifiques sont la recherche et l’enseignement. Ce n’est absolument pas de communiquer dans les médias et encore moins d’influencer les politiques. Ils ne le font que contraints et forcés. Il est donc factuellement faux et intellectuellement malhonnête de présenter le rejet de l’avant-projet par les scientifiques comme l’expression d’une défense de leurs intérêts privés.


Si les chercheurs des universités ont parlé d’une seule et même voix contre le projet d’Arrêté de l’Administration de la Direction de la Qualité et du Bien-Être animal, ce qui est très rare, c’est parce qu’ils estiment que leur travail est d’intérêt général et que les progrès en santé humaine et animale sont mis en danger par cet avant-projet. Mais surtout parce que cet avant-projet, qui a été rédigé par l’Administration bien avant que la ministre Tellier n’occupe son poste, repose sur des arguments idéologiques qui n’ont aucune base scientifique. Une base idéologique qui n’est guère surprenante quand on sait que S.E.A. avoue elle-même avoir été conviée par l’administration à participer aux réunions de travail sur ce texte, alors que les scientifiques des universités ne l’ont pas été.


Ce n’est pas en réponse à une soi-disant pression d’un prétendu lobby de l’expérimentation animale, qui relève du fantasme et de la manipulation de l’opinion publique, que la ministre Tellier a gelé la réforme. C’est après analyse des arguments solides qui lui ont été présentés par les scientifiques. N’en déplaise à Gaia, S.E.A et consorts, la rationalité peut, parfois, l’emporter sur la menace, l’intimidation ou l’injure, dont le post de Gaia sur la soi-disant soumission de la ministre Tellier en est un exemple saisissant. En matière d’argument, on peut difficilement nier l’intérêt sociétal de l’acquisition de connaissances en sciences du vivant ou des innovations technologiques qui en découlent. L’importance de l’expérimentation animale en recherche fondamentale, son efficacité et son indispensabilité sont attestées par toutes les Universités francophones, par l’Académie Royale de Médecine, par le FNRS ainsi que par toutes les institutions scientifiques internationales, telles que l’Association Européenne de Recherche Animale (EARA), la Fondation pour la Recherche Biomédicale (FBR) et les Instituts américains de la santé (NIH). Soyons clair. Il y a, par exemple, une controverse sur le fait que la terre soit plate. Mais cette controverse n’est pas scientifique. La reconnaitre comme telle, c’est déjà valider les arguments des platistes. Le consensus scientifique sur l’expérimentation animale est aisément vérifiable par toute personne de bonne foi qui s’en donne la peine. Pourtant, l’Administration soutient qu’il y aurait une polémique scientifique concernant son efficacité, reprenant, sans les citer, les arguments pseudoscientifiques de S.E.A., et prend ainsi en otage le cabinet de la ministre. C’est cette attitude partisane inacceptable de l’Administration qui a été dénoncée par les chercheurs qui la vivent quotidiennement dans ses contrôles.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation absurde et paradoxale. L’usage d’animaux en recherche au sein des universités est strictement encadré au cas par cas. Il requiert l’approbation d’un dossier éthique par une commission d’éthique agréée par l’Administration, composée d’experts, dont un vétérinaire en charge du bien-être animal et un vétérinaire de l’administration. Le dossier doit démontrer l’intérêt scientifique de la recherche envisagée ainsi que l’impossibilité de se passer d’animaux. Ce processus d’approbation prend plusieurs mois. Une cellule de bien-être animal, comprenant un animalier et un vétérinaire, est chargée de vérifier l’état des animaux au sein des animaleries universitaires agréées. De plus, une analyse rétrospective de l’étude est systématiquement réalisée par le comité et l’Administration.

Un tel encadrement est exceptionnel. Il est unique par rapport aux autres usages faits de l’animal dans nos sociétés. Il est donc révoltant que S.E.A et M. Vandenbosch prétendent publiquement que l’expérimentation animale ne serait pas assez encadrée et que le bien-être des animaux ne serait pas pris en considération en Wallonie. Allant jusqu’à remettre en doute la compétence des vétérinaires responsables du bien-être animal dans les universités. Comme si on remettait en doute la capacité des médecins à s’occuper de leurs patients. C’est de la désinformation pure et simple. A nouveau.

Pourrait-on imaginer d’appliquer l’encadrement dont bénéficie l’expérimentation animale à l’élevage familial ou industriel et à la possession d’animaux de compagnie? On imagine mal les éleveurs passer devant une commission pour justifier, au cas par cas, l’usage d’animaux. Devant, par exemple, démontrer, références bibliographiques à l’appui, qu’on ne peut nourrir l’humain sans recourir à l’élevage et l’abattage d’animaux. Quant aux animaux de compagnie, si la maltraitance animale est punie, n’importe qui peut acquérir l’animal de compagnie de son choix et plusieurs dizaines de milliers d’animaux sont abandonnés chaque année et euthanasiés dans les refuges belges. Pourrait-on imaginer de contraindre les particuliers à passer devant une commission d’éthique avant d’acheter un animal? Commission qui évaluerait les raisons qui poussent le particulier à acheter l’animal et les conditions dans lesquelles il va s’en occuper? Peut-on envisager des contrôles vétérinaires réguliers et obligatoires au domicile de tous les possesseurs d’un animal de compagnie? Inimaginable? Tout cela constitue pourtant la norme légale actuelle pour l’expérimentation animale au sein des universités. On pourrait s’étonner que Gaia et S.E.A n’exigent pas des contrôles là aussi, sauf à comprendre que ses demandes seraient beaucoup moins populaires et, en conséquence, leurs finances moins florissantes.

M. Vandenbosh estime dans son pamphlet que les propositions présentes dans l’avant-projet d’Arrêté, dont une taxe sur l’expérimentation animale, sont "très modérées". Désinformation à nouveau. Une telle taxe n’est d’application nulle part en Belgique, ni en Europe. Dans son avis du 18 novembre 2020, le Pôle Politique Scientifique de Wallonie lui-même s’interroge sur sa légitimité. Accepter cette taxe, c’est mettre les chercheurs wallons en science du vivant dans une position intenable par rapports aux chercheurs bruxellois, flamands et étrangers. C’est également tenter d’influencer le choix des chercheurs vis-à-vis des méthodes scientifiques qui sont légalement à leur disposition.

Enfin, M. Vandenbosh considère que les scientifiques sont "aveugles et sourds aux préoccupations sociétales, allergiques aux critiques des citoyens ou à la concertation constructive". Ils feraient preuve d’arrogance, d’élitisme et de mépris dans leur refus de tout compromis sur la version de l’avant-projet d’Arrêté. Il oublie volontiers de mentionner que ce projet en est à sa quatrième version. Qu’il a déjà été critiqué pour les mêmes raisons en 2017 par les scientifiques. Que le ministre Di Antonio, en charge de ce dossier, avait demandé à son Administration de se concerter avec les chercheurs en vue d’arriver à un compromis. Et que cette Administration n’a même pas daigné se présenter aux réunions et a pratiqué la politique de la chaise vide.

Le seul mépris que montrent les scientifiques, c’est envers ceux qui, sous le couvert de la protection animale, pratiquent sciemment la désinformation pour des raisons strictement idéologiques et/ou d’intérêt personnel. Les chercheurs ne sont pas allergiques au dialogue, mais bien au dogmatisme et à la manipulation de l’opinion publique. Proposer de réduire l'expérimentation animale pour raisons morales est louable et respectable. Mais ce choix de société ne doit pas être vendu au citoyen en lui faisant croire, à l’aide d’arguments pseudoscientifiques, que la recherche conserverait la même qualité ou en serait améliorée. Donald Trump a démontré qu’il existe aujourd’hui deux formes bien distinctes de démocratie. L’une où la gouvernance s’appuie sur des croyances ou des vérités définies par une quelconque forme de référendum populaire. Et une autre démocratie dont les décisions sont basées sur la rationalité et des faits scientifiquement vérifiables. Laquelle voulons-nous? Il est urgent que nous réfléchissions à cette question. Mais n’oublions pas que, même si un référendum venait à décider que la terre est plate, elle n’en resterait pas moins ronde…

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