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La prison face au covid19: zoom sur un angle mort de la démocratie

Updated: May 15, 2020

Chronique rédigée par Yves CARTUYVELS (professeur, Université Saint-Louis-Bruxelles), Olivia NEDERLANDT (chercheuse FNRS, Université Saint-Louis-Bruxelles ) et Marc NÈVE (Maître de conférences, Université de Liège), publiée en primeur sur le site du Soir



La prison s’invite de manière régulière au cœur de l’actualité pour dénoncer un état de crise permanente. Le refrain ne change pas: les conditions de détention sont désastreuses, les infrastructures vétustes, le personnel pénitentiaire est en sous-effectif chronique et les moyens pour la réinsertion manquent cruellement. La loi pénitentiaire elle-même est l’aveu de l’échec de la prison, dès lors que l’une de ces principales finalités est de limiter les effets préjudiciables de la détention, en d’autres termes: réduire la casse.

Une population pauvre et mal soignée

La justice pénale opère un filtrage social, ethnique et genré, si bien qu’en prison, on retrouve majoritairement des hommes racisés issus de milieux défavorisés. La population carcérale est plus pauvre que la moyenne et en plus mauvaise santé. Mal nourrie (3,5 euros par jour par personne détenue consacrés aux repas), elle est aussi mal soignée: si le personnel médical en prison se démène pour exercer au mieux ses missions, il est en sous-effectif chronique et manque de matériel. Cette situation est aggravée par les coupes budgétaires chroniques dans le secteur de la justice.


Des cibles vulnérables

Alors que la société entière est soumise à la crise sanitaire causée par la propagation du Covid-19, la population carcérale en est frappée de manière exponentielle. La distanciation sociale est impossible à respecter dans les prisons, pour la plupart surpeuplées. Les personnes sont souvent détenues à deux dans des cellules de 9 m2. Les produits d’hygiène sont insuffisants en temps normal. Les familles, qui lavent le linge des détenu.e.s et le rendent à l’occasion des visites, ne peuvent plus venir en prison. L’état de santé de nombreuses personnes détenues en fait des cibles particulièrement vulnérables à l’égard du virus.

Pris au piège…

Paradoxalement, les mesures prises pour «protéger» les personnes détenues à l’heure du Covid-19 aboutissent à détériorer davantage leurs conditions de détention et à porter atteinte à leurs droits fondamentaux. Suppression du travail pénitentiaire et des activités, des visites de la famille et de la pratique du culte… les personnes détenues sont prises au piège dans leur cellule, livrées à elles-mêmes, coupées de l’extérieur. On entend ainsi des personnes détenues témoigner: le prix des GSM, interdits mais qui circulent en prison, est passé de 500 à 2.000 euros. C’est le prix, la plupart du temps impayable, à mettre pour garder le contact avec ses proches.

Un personnel en danger

Quant aux agent.e.s pénitentiaires, nombre de leurs missions impliquent régulièrement un contact rapproché, comme les fouilles. Or, le matériel de protection (gel hydro-alcoolique, masques, blouses) manque cruellement. Alors que le personnel pénitentiaire a multiplié les grèves ces derniers mois pour dénoncer ses conditions de travail, celles-ci se sont encore détériorées avec la crise. Il se trouve, comme le personnel hospitalier, dans une situation de risque croissant et l’absentéisme, déjà élevé hors période de crise, s’est accru. Les directions et agent.e.s pénitentiaires qui «restent au front» méritent dès lors tout autant que les personnels de soins dans les hôpitaux nos applaudissements de 20 heures.


Aménager le régime pénitentiaire

Les prisons sont aujourd’hui en partie décloisonnées. Outre le personnel pénitentiaire, de nombreuses personnes y entrent et en sortent quotidiennement pour travailler: les services d’aide aux détenu.e.s, les proches pour les visites, mais aussi, les membres des organes de contrôle. Les lieux de privation de liberté étant des lieux «à risque» pour la survenance de mauvais traitements, les textes légaux belges, européens et internationaux prévoient que ces lieux doivent faire l’objet d’un contrôle régulier, exercé par des professionnels indépendants. En Belgique, le contrôle des prisons est exercé par le Conseil central de surveillance pénitentiaire, organe central qui coordonne le travail sur le terrain de Commissions de Surveillance établies localement auprès de chaque prison. La crise sanitaire a provisoirement contraint le Conseil central à suspendre les visites régulières des membres des Commissions de Surveillance.

Le 30 mars 2020, le Conseil central de surveillance pénitentiaire, par la voix de son président, Marc Nève, a transmis à la presse un communiqué pour alerter sur l’urgence d’agir à l’égard de la population détenue. Rappelant la situation critique dans les prisons face à l’épidémie, en dépit des efforts déployés par l’administration pénitentiaire, les directions et le personnel, le Conseil souligne la nécessité d’aménager, à l’intérieur des prisons, le régime de la détention pour répondre à la crise (accorder un accès au téléphone gratuit, accorder une indemnisation raisonnable aux personnes détenues privées de travail, veiller à un accès suffisant aux produits d’hygiène et à l’approvisionnement des cantines, trouver des alternatives à l’absence d’activités).

Limiter la population carcérale

Mais le Conseil estime aussi indispensable de limiter au maximum la population carcérale. Vu le risque de crise sanitaire et sécuritaire (le confinement, pratiquement impossible en prison, est aussi source de tensions et d’émeutes possibles), le Conseil souligne qu’il est aujourd’hui «urgent de réduire drastiquement le nombre de personnes détenues», en limitant strictement les nouvelles incarcérations et en assouplissant les conditions de sortie. Libérer les personnes en détention préventive, surseoir à l’exécution des peines d’emprisonnement, recourir de manière accrue aux alternatives à l’emprisonnement, anticiper la libération des personnes susceptibles d’être libérées avant terme, libérer provisoirement pour raisons médicales les personnes les plus vulnérables ou encore l’octroi d’une grâce collective font partie des leviers mobilisables à cet effet.

Un miroir grossissant du problème carcéral

Ce que nous révèle à la puissance 10 la crise du coronavirus à l’égard des prisons, c’est un double constat: les conditions de détention dans les prisons belges ne respectent pas la dignité humaine, et le recours à la prison n’est pas inévitable.

Dans une société démocratique, la peine de prison doit se limiter à la privation de liberté. Comme le souligne la loi pénitentiaire, pour le reste, les personnes détenues demeurent des citoyens jouissant de leurs droits et l’exécution de leur peine doit s’effectuer dans «des conditions psychosociales, physiques et matérielles qui respectent la dignité humaine». Or, à cet égard le constat, décuplé par la crise du coronavirus, est le suivant: en pratique, une peine de prison respectant la dignité humaine est un oxymore. Cet idéal, aussi ancien que l’existence de la prison, est et a toujours été un vœu pieu. La prison a beau être réformée, les textes légaux ont beau être réécrits, en pratique elle reste toujours source de dégradation physique et psychique, portant son lot d’exploitation, de désocialisation et de déshumanisation. Ces «coûts» financiers, sanitaires et sociaux de la prison, les personnes détenues, comme leurs proches, continuent en outre à les payer une fois sorties de prison.

On peut bien sûr considérer qu’il s’agit d’un problème de moyens. Ce l’est en partie, la prison n’étant certes pas le premier secteur à retenir l’attention à un moment où l’on s’avise tout à coup des dégâts que provoque le désinvestissement dans les politiques de service public. Mais, plus fondamentalement, ce qui est en cause c’est le recours au «tout carcéral», malgré les proclamations récurrentes de ne recourir à la prison «qu’en dernier recours» et la volonté affichée de favoriser des réponses «alternatives». La prison n’est pas une solution, on le sait depuis deux cents ans. Au contraire, parce qu’elle aggrave l’exclusion sociale et n’empêche pas la récidive, elle représente un problème.


Une croissance carcérale évitable

Ce que la crise du Covid-19 nous montre, c’est que la croissance carcérale n’est pas inéluctable: si le 2 mars 2020 les prisons comptaient 10.863 personnes détenues, en date du 3 avril 2020 ce chiffre est descendu à 9.889. La crise a permis en un laps de temps très court aux pouvoirs judiciaire et exécutif de diminuer la population carcérale de près de 1.000 personnes de prison, soit de 10 %! La prison n’est donc pas indépassable.

Si la crise du Covid-19 peut servir à quelque chose de par la situation extrême qu’elle provoque, c’est à alimenter le débat démocratique sur la place de la prison dans une société démocratique. Plutôt que d’investir dans les mécanismes d’exclusion, il reste urgent d’investir dans des politiques sociales inclusives en amont, tout comme il faut favoriser des réponses réparatrices, plus utiles pour les victimes que la logique punitive, en aval. En attendant, il est urgent d’aménager les conditions des personnes détenues et de limiter au maximum la population carcérale.

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