Contribution signée Charlotte Vanneste (INCC–ULiège), Fabienne Glowacz (ULiege), Catherine Fallon (ULiège), Aline Thiry (ULiège), Audrey Plavsic (UCLouvain), Gily Coene (VUB), Xavier Rousseaux (FNRS–UCLouvain), Thierry Eggerickx (FNRS–UCLouvain), Sophie Withaeckx (VUB), Isabelle Ravier (INCC), Amandine Dziewa (ULiege), Jean-Paul Sanderson (UClouvain), Eva Vergaert (VUB), Sarah Van Praet (INCC), Anne Lemonne (INCC).
Etat de la situation en matière de politique de lutte contre les violences intrafamiliales (VIF)
Les années «d’avant» le confinement ont été marquées en Belgique, comme dans de nombreux pays, par une attention croissante à la question des violences intrafamiliales dont les victimes sont le plus souvent des femmes mais aussi des enfants. Portée à l’agenda politique, cette question a fait l’objet d’un certain nombre d’initiatives. Pour l’heure, celles-ci sont loin d’être abouties et ont cruellement manqué de moyens suffisants, ainsi que l’a souligné en 2019 le rapport alternatif émanant des acteurs associatifs à l’occasion del’évaluation de ladite «Convention d’Istanboul» (ratifiée par la Belgique en 2016) (1). Le développement et le succès de ces initiatives pèsent tout à la fois sur le secteur associatif, les services sociaux, la police, et la justice amenés pour ce faire à agir en réseaux et partenariats. Le confinement a provoqué une très forte hausse des signalements de cas et le gouvernement a annoncé la mise en place d’une Task Force. C’est une bonne chose. Plus que jamais néanmoins il s’agit d’être attentif aux effets d’annonce et aux formules hâtivement présentées comme étant «la» solution à une problématique que l’on sait complexe.
Les récentes études menées en Chine, première nation contaminée par le Covid 19, ont mis en avant l’impact du confinement au niveau de la santé mentale, de l’état psychologique et du bien-être des personnes, les femmes présentant des formes de stress plus élevé (Brooks, et al., 2020; Zhang et al., 2020). Le confinement aura changé la vie des familles, notamment par la séquestration qu’il impose aux membres de la famille, le retrait des enfants des écoles, l’arrêt de l’emploi ou le télétravail, autant de mesures qui génèrent des tensions, des frustrations, et une forte anxiété, plus fortes encore dans les ménages à faibles revenus et surpeuplés ,ou au sein des familles déjà plus vulnérables avant la crise. Ces contextes de stress multiples sont autant de facteurs de risque de maltraitance infantile (Cluver et al., 2020) et de violence conjugale (2), l’augmentation du nombre d’appels et de signalements dans les dispositifs déployés pendant la période de confinement en témoigne. Il est évident que les dynamiques de violences préexistantes d’emprise et de contrôle se sont trouvées renforcées et «facilitées» par ce repli/enfermement sur le lieu de vie, de plus des violences jusqu’alors latentes ont émergé dans ce contexte de tensions exacerbées, dans tous les cas avec moins de possibilités de recourir à une aide extérieure. Par ailleurs, les enfants auront été exposés à ces violences sans pouvoir s’y soustraire dans d’autres espaces (écoles, famille élargie…). Plus la durée du confinement perdure, plus les situations familiales et l’état psychique des personnes se détériorent, plus les violences risquent de s’accentuer, conduisant à un épuisement de tous. Les traumatismes sont multiples chez les victimes de ces violences conjugales, le plus souvent des femmes et des enfants (Fraser 2020).
En Belgique, avec les mesures de confinement, prises dans l’urgence, les processus de coopération entre les acteurs actifs sur le terrain ont été modifiés (les processus de coopération entre les asbl et les pouvoirs publics mais aussi entre les asbl.). Aussi, durant la crise, la communication sur les violences conjugales est entièrement aux mains des médias et des associations: cela aura un impact majeur sur les acteurs du secteur et partant sur la politique elle-même.
Les enjeux de la sortie du confinement
On ne peut penser que le déconfinement à lui seul permettra une restauration des relations et du bien-être des personnes! C’est oublier d’une part que ces violences risquent au contraire de perdurer, particulièrement dans l’état de crise post-confinement ajoutant d’autres facteurs de stress, et d’autre part, que le vécu de violences conjugales et familiales a généré des séquelles chez les victimes, les symptômes post-traumatiques nécessitant une aide psychologique voire psychiatrique.
Dans l’après-confinement, le risque est grand que la crise économique qui s’amorce ne fasse passer la question au second plan des priorités. Nul n’en connaît encore l’ampleur ni la durée mais ses conséquences sont dès à présent prévisibles. Les populations les plus touchées seront celles que l’on sait déjà les plus démunies pour sortir de cette situation de violence, au croisement de vulnérabilités sociales structurelles qui peuvent être multiples: de genre, de revenu, de logement, d’âge, de statut social et/ou migratoire ou encore liées à un handicap. Ce ne sera donc pas le moment de lever le pied que du contraire.
A cela, s’ajoute l’épuisement des intervenants psycho-sociaux qui ont été particulièrement mobilisés dans ce secteur, soit parce qu’ils étaient eux-mêmes sur le terrain exposés à la détresse et violences des familles et au risque de contamination, soit parce que les interventions en visio-conférence ont limité leurs possibilités d’action par rapport à ces situations, et enfin parce qu’eux-mêmes sont impactés par un traumatisme vicariant.
Si l’hypothèse d’une hausse des signalements de VIF durant le confinement et en sortie se vérifie (avec possible transfert de la dénonciation à la police au profit de l’appel aux associations), des ressources renforcées seront aussi nécessaires de la part des pouvoirs publics (traitement policier/judiciaire/postjudiciaire).
Un renforcement de ces différentes équipes doit être absolument prévu.
Recommandations
Avec la levée des mesures de confinement et la fin de la situation de crise sanitaire dans notre pays, toute l’attention sera orientée vers un «retour à la normale», avec des mesures qui seront prises essentiellement pour soutenir le secteur économique. Considérant que le confinement a provoqué une hausse des violences intrafamiliales, un «retour à la normale» ne sera pas possible si on ne soutient pas le secteur associatif et les ressources publiques pour faire face aux demandes qui risquent d’exploser. Les ressources devront être renforcées et stabilisées. Les programmes d’action devront être menés, ceci dans une perspective de continuité en mobilisant les démarches initiées et éprouvées dans chaque Région et Communauté.
Nous sommes extrêmement inquiets de la suite qui sera apportée au traitement de la question des VIF que ce soit au niveau des cas individuels ou au niveau des actions politiques, ainsi que du suivi de la Task Force établie dans l’urgence.
Trop peu d’attention est portée au secteur non marchand et tout particulièrement, dans le cas des VIF, au risque de destructuration du tissu associatif et des intervenants sociaux (tous ne vont pas résister à la crise): les asbl aides aux familles; aides à la jeunesse; maisons d’hébergements, etc. C’est en travaillant avec tous les intervenants de terrain qu’il sera possible de préciser les groupes les plus fragilisés.
Il sera essentiel dans les étapes de déconfinement de renforcer les ressources au niveau des interventions psychologiques et sociales en vue:
- de soutenir des accompagnements spécialisés dans la sortie de ces dynamiques violentes;
- de prendre en charge les multi-traumatismes psychologiques subis dans ce contexte de confinement par les victimes de violences;
- de renforcer les actions de debriefing auprès des enfants, les accompagnements individuels et interventions en milieu de vie pour intervenir de façon pro-active auprès de ces enfants et adolescents;
- de prendre en charge les auteurs de violences;
- de renforcer le traitement policier/judiciaire/postjudiciaire des violences graves et de la coordination avec les services sociaux et les associations.
La question d’une possible reconfiguration du cadrage politique de la problématique devra aussi être posée. Il sera nécessaire d’apprendre de la crise elle-même et pour ce faire des ressources suffisantes devront être prévues, avec une attention particulière pour valoriser les expériences des acteurs de terrain. Les modalités d’évaluation de ces moments particuliers qui sont aussi considérés par les acteurs du terrain comme des moments d’expérimentation sociale (fût-elle forcée) devront être définies avec la participation de tous les intervenants du secteur, associations, services sociaux, policiers et judiciaires.
(1) Évaluation de la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique par la Belgique, Rapport alternatif de la coalition «Ensemble contre les violences», Février 2019, https://www.cvfe.be/images/actualites/resume_istanbul._final.pdf
Références
Brooks, S.K., Webster, R.K., Smith, L.E., Woodland, L., Wessely, S., Greenberg, N., & Rubin, G.J. (2020). The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. The Lancet.
Cluver, L., Lachman, J. M., Sherr, L., Wessels, I., Krug, E., Rakotomalala, S., & Butchart, A. (2020). Parenting in a time of COVID-19. The Lancet.
Delage P., 2017, Violences conjugales. Du combat féministe à la cause publique, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. «Académique», 2017, 262 p.
Fraser, E.(2020) Impact of COVID-19 Pandemic on Violence against Women and Girls, VAWG Helpdesk Research Report No. 284. London, UK: VAWG Helpdesk.
Glowacz F., Vanneste C., Violences conjugales et justice pénale: un couple à problèmes?, Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. XIV | 2017, mis en ligne le 18 juillet 2017, http://champpenal.revues.org/9600; DOI: 10.4000/champpenal.9600.
Vanneste C., 2017, Violences conjugales: un dilemme pour la justice pénale? Leçons d’une analyse des enregistrements statistiques effectués dans les parquets belges, Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. XIV | 2017, mis en ligne le 18 juillet 2017, URL: http://champpenal.revues.org/9593; DOI: 10.4000/champpe- nal.9593.
Zhang, S. X., Wang, Y., Rauch, A., & Wei, F. (2020). Health, Distress and Life Satisfaction of People in China One Month into the COVID-19 Outbreak (3/12/2020).
https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25749&LangID=E
https://theconversation.com/domestic-violence-growing-in-wake-of-coronavirus-outbreak-135598