Contribution signée Rachida Bensliman (ULB), Annalisa Casini (UCLouvain), Florence Degavre (UCLouvain), Ela Callorda Fossati (ULB), Nathalie Grandjean (Université de Namur), Céline Mahieu (ULB), Laura Merla (UCLouvain)
Une situation aggravée par la crise du Covid-19
L’épidémie de covid-19 a rendu visibles certains métiers traditionnellement dévalorisés, ceux de l’accompagnement à domicile (aides-familiales, aides-ménagères, aides-soignantes, gardes à domicile) (1), mais elle a aussi aggravé leur situation:
- Dans le secteur socio-sanitaire, le care (relation étroite à l’Autre, attachement émotionnel aux usager-e-s et implication morale) se distingue du cure (soin médical associé aux savoirs de haute technicité, universalisme et neutralité affective) par la moindre considération qui lui est accordée. La réponse essentiellement sanitaire à la crise provoquée par le COVID-19 a renforcé cette hiérarchie en excluant les métiers du domicile (care) de la communication politique.
- Au sein des différents métiers du secteur sanitaire et social, plus on s’éloigne de l’hôpital et/ou du médical (cure), moins la fonction est valorisée (financièrement et symboliquement). La difficulté (technicité, responsabilités, charge physique et nerveuse) et l’exposition aux risques (de stress, d’infections) des fonctions de care sont rendues invisibles par un discours vocationnel genré, exaltant l’engagement personnel et moral traditionnellement associé aux femmes. Cela s’est traduit, dans le contexte de grave pénurie du mois de mars, par un accès moindre au matériel de protection et à l’absence d’instructions claires adaptées aux métiers du domicile. Dans ces conditions, des services ont dû cesser leurs activités (notamment l’aide-ménagère) ou les diminuer, afin de préserver la santé des travailleur-se-s et celle des bénéficiaires.
- Dans les métiers dudomicile, la forte concentration de femmes (environ 90%), souvent issues de catégories marginalisées de la population (personnes peu qualifiées, racisées et/ou peu visibles dans les luttes et peu défendues) tranche avec leur quasi-absence des niveaux décisionnels et instances de négociation ou organes de représentation. Elles font souvent face à des conditions de travail difficiles, rendues plus dures encore par l’impact économique du COVID-19 sur le secteur. En plus d’appartenir à la catégorie de sexe la plus exposée au risque (2), les travailleuses de première ligne font face, chez elles, à des tâches supplémentaires liées au confinement de leurs propres familles. Cette situation inédite exacerbe leur charge mentale et augmente les risques post-traumatiques. Au moment où l’épidémie a surgi, les fédérations wallonnes du domicile négociaient plusieurs mesures en vue d’améliorer leur situation et de mieux répondre aux besoins de la population: augmentation du contingent d’heures, normes d’encadrement, passage du statut d’ouvrier-e à employé-e. Certaines restent acquises mais il y a incertitude sur les autres.
Recommandations
Pistes à court et moyen terme pour la période de déconfinement
- Durant le déconfinement progressif, ces travailleur-s-e resteront exposé-e-s. Il faut veiller à les équiper de matériel correct sur le moyen et long terme, ainsi que leurs bénéficiaires, leur donner la possibilité d’être entendues sur leurs nouvelles conditions de travail.
- Un des points critiques dans cette situation d’urgence et de ressources rares est l’absence de critères pour intervenir dans les situations où il y a (soupçon) d’infection sur base d’une épidémie massive. Le domicile, et plus généralement le secteur du care, a besoin de principes d’actions, d’instructions (et de protocoles), négociés avec les travailleur-euse-s elles-mêmes pour adapter dès aujourd’hui son fonctionnement à la crise sanitaire ainsi qu’à sa sortie.
- Certain-e-s travailleur-euse-s devront faire face aux conséquences financières du chômage économique imposé par la période de confinement. Contrairement à d’autres métiers de l’ambulatoire, aucun télétravail ne peut être envisagé. Pour d’autres, qui auront été particulièrement sollicité-e-s pendant le confinement, il faudra continuer à travailler sans avoir eu de répit. De leur côté, les bénéficiaires et leurs familles recommenceront, une fois la crise passée, à externaliser une partie de la charge du care et du travail domestique pour “souffler”. Pour répondre à ce triple enjeu, il est important de permettre un système d’organisation du travail qui veille à la santé et au bien-être des travailleuses (par exemple par la rotation sans perte de salaire), un système de subventionnement adapté à la crise, ainsi que la possibilité de réaffecter certains budgets pour maintenir les emplois.
- Cette situation de pandémie révèle le besoin d’une cellule de crise collégiale au niveau fédéral, rassemblant toutes les instances sanitaires et sociales, y compris le domicile (cabinets, institutions, fédérations) et prête à fonctionner en situation de retour majeur du risque.
- Le secteur du domicile travaille avec des publics vulnérables et à risque de complications en cas de COVID-19. Il doit être associé à la prévention (par exemple au niveau du respect des gestes barrières chez les bénéficiaires, du nettoyage et de la désinfection du domicile). L’intégration effective d’une représentation du secteur du domicile dans le plan de déconfinement, à côté de l’hôpital et du secteur médical, sera source d’efficacité pour éviter une seconde vague.
Pistes stratégiques à long terme
- Un cadastre des métiers du domicile, associant les nouvelles initiatives d’accompagnement des personnes (soutien psychologique, répit, etc.) permettant de rendre visibles et reconnaître les compétences au sein du secteur. Il permettra de mieux évaluer l’importance fondamentale du care pour le cure dans un plan global en cas de (future) crise sanitaire et sociale.
- La crise a révélé le risque et la pénibilité des métiers du care. Il est important de prendre appui sur cette reconnaissance pour soutenir les demandes de développement du secteur (assurance autonomie, augmentation des contingents d’heures, amélioration des normes d’encadrement et des conditions de travail, opportunités d’évolution dans la carrière au sein et en dehors du secteur, etc.).
- Plus généralement, il est impératif d’accompagner un changement de discours et de regard sur les métiers du care pour les “dénaturaliser” et les “dégenrer”. Y attirer davantage les hommes est une piste envisageable. Le renforcement des politiques de congés parentaux et une réduction généralisée du temps de travail pourraient également faciliter l’implication durable des hommes dans le care en général.
- Une procédure pour systématiser le travail en réseau et la communication entre l’hôpital et le domicile doit être établie pour faire face, en temps de crise comme en temps normal, à des sorties d’hôpitaux de patient-e-s qui sont renvoyé-e-s chez eux pour libérer des lits.
- Le secteur du domicile n’a pas bénéficié d’investissements au niveau des équipements technologiques. Or, en situation de crise, ils permettent la transmission d’information entre professionnel-le-s et le maintien du contact avec les bénéficiaires (particulièrement problématique en situation de confinement). Il faut donc réfléchir de manière collégiale, structurée et réfléchie à l’introduction des nouvelles technologies, en veillant à ne pas en faire ni des instruments de contrôle et de surveillance des travailleuses, ni des outils dont la charge mentale (de récolte et de gestion des données, par exemple) reviendrait, à nouveau, à ces mêmes travailleur-se-s.
- À cette occasion, une réflexion éthique doit être menée afin de prendre en compte les conditions morales de l’exercice des métiers du care. Si le souci de l’Autre s’y impose comme un quasi-impératif catégorique, il importe dès lors d’en discuter le périmètre, les conséquences et contradictions à l’oeuvre dans les organisations, souvent en tension entre enjeux des bénéficiaires et des travail-leur-se-s. Un comité expert en éthiques du care et paritaire devrait être mis sur pied et consulté.
- Le personnel issu de l’immigration dont la situation au regard des papiers n’est pas stabilisée n’a souvent pas accès aux mécanismes qui permettent de soutenir leur propre charge de care familial. Il est primordial de procéder à la régularisation des travailleur.eus.es informel.le.s dans l’aide et les soins à domicile des personnes âgées ou dépendantes. Cette régularisation est l’une des mesures essentielles pour enrayer la dévalorisation socio-économique et symbolique du secteur et de ses travailleur-se-s.
(1) Le périmètre empirique de la note a volontairement été limité à l’aide à domicile. Certains éléments de cette note sont cependant valables pour d’autres métiers à forte dimension de care.
(2) Les données du dernier bulletin épidémiologique Belge (Sciensano, 13 avril 2020) montrent clairement que, chez les individus en âge de travailler (entre 20 et 59 ans), les femmes, sont quasiment 2 fois plus touchées par le virus que les hommes (9384 cas chez les femmes contre 5489 chez les hommes).
Références
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