Contribution signée Sylvie Sarolea (UCLouvain)
Contexte
Depuis la mise en œuvre des mesures de confinement, le gouvernement a été interpellé sur la situation dans les centres fermés pour étrangers en situation irrégulière. A ce jour, mis à part une information selon laquelle les centres n’étaient plus remplis qu’à 50 pourcents, aucune mesure spécifique n’a été prise. Or, y détenir des migrants est-il toujours légal? Les conditions de détention présentent-elles des risques pour les personnesqui y sont enfermées?
Pour aborder ces trois questions, 1) il faut d’abord expliquer ce que sont les centres fermés. Combien y en a-t-il? A quoi servent-ils? 2) Ensuite, les critères permettant d’identifier les personnes devant être privées de liberté en contexte migratoire sont brièvement rappelés. 3) Enfin et surtout, les conditions de la légalité de la détention et la manière dont le respect de celles-ci est assurée sont rappelés avec fermeté. 4) La réponse à ces questions montre à quel point l’absence de mesures spécifiques est problématique et viole les droits des personnes retenus dans ces centres. Les centres fermés en Belgique
- Un centre fermé est un lieu où des personnes en séjour irrégulier sont privées de liberté en attente d’être expulsées. Ils sont gérés par l’Office des étrangers, une administration qui dépend du Secrétaire d’État à l’asile et à la migration. La Belgique compte cinq centres fermés qui comptent un peu plus de 600 places (1), (2).
- Les critères désignant les catégories de personnes détenues.
- Il ne peut être recouru à la privation de liberté dans ces centres que pour des raisons administratives liées au séjour de l’étranger concerné. Il ne s’agit en aucun cas de personnes ayant été condamnées parce qu’elles auraient commis un délit. Les centres sont dédiés aux étrangers qui n’ont pas de droit de séjour (arrivés à la frontière sans être en possession des documents requis, ou arrêtés alors qu’ils sont en séjour irrégulier) ou qui sont en procédure (d’asile).
On peut dresser une typologie en fonction des catégories d’étrangers privés de liberté. Celle-ci distingue:
- L’étranger accédant au territoire lorsqu’il arrive à la frontière;
- Le demandeur d’asile: soit pendant un transfert vers un autre pays de l’Union européenne compétent pour examen de sa demande d’asile, soit pendant la procédure s’il a introduit sa demande à la frontière;
- L’étranger représentant un danger pour l’ordre public;
- L’étranger qui se trouve sur le territoire mais qui fait l’objet d’une décision d’éloignement.
Les conditions de légalité de la détention et leur contrôle
Dans tous les cas, la détention est une possibilité; il ne s’agit jamais d’une mesure systématique. Tant le principe même de la privation de liberté que ses prolongations sont des options qui doivent faire l’objet d’une décision de l’Office des étrangers. Cela signifie que les décisions doivent expliquer en quoi la détention est justifiée dans chaque cas particulier (risque de fuite, antécédents: a par ex. déjà reçu deux ordres de quitter le territoire et n’a pas obtempéré…). Pour les étrangers arrêtés sur le territoire en séjour irrégulier, les autorités ne peuvent utiliser la détention qu’en dernier recours, si aucune autre mesure n’a fonctionné (retour volontaire par exemple).
Outre la décision initiale de détenir, qui doit être adaptée à chaque cas, la prolongation de la période initiale (souvent un ou deux mois) ne peut intervenir que si les conditions cumulatives suivantes sont réunies: l’étranger fait l’objet d’une mesure de refoulement exécutoire, les démarches nécessaires à l’éloignement ont été entreprises dans les sept jours ouvrables, elles sont poursuivies avec toute la diligence requise,et il subsiste toujours une possibilité effective de procéder à l’éloignement dans un délai raisonnable. La détention vise à préparer le retour et à procéder à l’éloignement, de sorte que la remise en liberté s’impose lorsqu’il n’y a pas, ou plus, de perspectives raisonnables d’éloignement. La perspective d’éloignement doit être réelle. Cette condition figure expressément dans la loi belge mais aussi dans la directive européenne dite «retour» ou encore dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces règles valent aussi pour les étrangers considérés comme «présentant un danger pour l’ordre public». C’est le juge (chambre du conseil pénale) qui contrôle si les conditions sont toujours réunies à intervalles réguliers. Il vérifie aussi si les conditions de détention respectent les droits humains et notamment l’intégrité physique et psychique des détenus.
COVID19, confinement et centres fermés
Compte-tenu des mesures de confinement liées au COVID19, la détention en centre fermé est hautement contestable. En effet, premièrement, la fermeture des frontières et l’absence de vol, en ce compris entre les pays de l’Union européenne, rendent les départs impossibles. S’il n’y a pas de départ–et aucune réouverture n’est annoncée–il n’y a pas de perspective d’éloignement et donc la privation de liberté n’a plus de justification. Elle devient illégale. Deuxièmement, les mesures de distanciation sociale ne peuvent être appliquées en centres fermés où les logements ne sont pas individuels. Troisièmement, la crise actuelle aggrave encore de sérieux problèmes de salubrité dénoncés de longue date notamment à Merksplas (3). Ajoutons à cela que le contrôle prévu par la loi ne peut plus être exercé puisque ni les associations ni les parlementaires n’ont plus accès aux centres. Plusieurs associations et de nombreux avocats ont demandé qu’il soit mis fin à la détention dans les centres fermés pour ces motifs (4).
L’Office des étrangers a annoncé avoir libéré de nombreuses personnes mais n’a pas pris la décision de vider les centres. Or, une telle décision s’impose puisqu’il est évident qu’aucun éloignement ne peut plus être réalisé. La raison même de priver de liberté n’existe plus. Plusieurs juges ont déjà pris des décisions de libération mais devoir engager une procédure pour chaque détenu est une absurdité si,de manière générale, une des conditions pour que la privation de liberté soit légale n’est pas remplie.
Recommandations
- La situation actuelle impose que les personnes placées en centres fermés soient remises en liberté. Il existe des alternatives pour chacune des catégories d’étrangers qui s’y trouvent.
- Pour les demandeurs d’asile qui ont introduit leur demande à la frontière, ils peuvent être placés dans des centres ouverts de la Croix-Rouge, de Fedasil ou en initiatives locales d’accueil. Ils attendront là, comme les autres, que la procédure d’asile puisse se poursuivre. Pour le moment, il n’y a aucune interview au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, ni aucune audience au Conseil du contentieux des étrangers. Pour les demandeurs d’asile qui auraient dû être renvoyés vers un autre pays de l’Union européenne, dès lors que les transferts ne sont pas possibles, il faut analyser chacun des dossiers et, compte tenu des délais et de la situation dans ces pays, accepter dès à présent ou différer une décision quant à l’examen du dossier par la Belgique. Cela fait déjà plusieurs semaines que les transferts vers l’Italie sont suspendus.
- Pour les personnes en séjour illégal sur le territoire, il existe des alternatives à la détention. Il peut leur être demandé de fournir une adresse, d’avoir un entretien avec l’Office des étrangers pour vérifier si des solutions existent (parfois un regroupement familial, une régularisation, un retour volontaire à planifier). De la même manière que la demande d’asile s’introduit à présent en ligne, rien n’empêche de faire de même pour la réévaluation d’un dossier. Des interviews par visioconférence pourraient être pratiquées.
- Pour les personnes considérées comme présentant un danger pour l’ordre public, il existe des mesures d’assignation à résidence qui sont une alternative légale à la détention.
- Il conviendrait aussi d’examiner de manière diligente les nombreuses demandes de régularisation «humanitaires» et «médicales» à l’aune du COVID19. D’une part, le confinement rend les retours dans les pays d’origine impossibles à court et moyen terme, ce qui doit conduire à délivrer des titres de séjour au moins temporaires. Le Portugal a annoncé une telle mesure. D’autre part, dès lors que la précarité (vivre sans papiers et donc sans protection ni ressource) rend le confinement impossible, délivrer de tels titres est une mesure élémentaire à la fois de dignité et de santé publique.
(1) – Deux centres situés aux frontières, près de l’aéroport de Bruxelles-national: le «127 bis» qui héberge surtout des étrangers en attente d’un transfert «Dublin» vers un autre pays de l’Union européenne, responsable de l’examen de leur demande d’asile et le centre de transit «caricole», où se trouvent des étrangers qui se sont vu refuser l’accès au territoire lors de leur atterrissage à l’aéroport de Zaventem, dont des demandeurs d’asile.
– Trois centres pour illégaux (Merksplas, Bruges et Vottem) où sont détenues des personnes arrêtées en Belgique en séjour illégal. Celui de Bruges peut héberger des femmes tandis que celui de Vottem contient une aile spécialisée pour les détenus les plus problématiques qui sont maintenus à l’isolement 22h sur 24. (https://www.cire.be/les-centres-fermes/)
(2) Il faut encore préciser que depuis un arrêté royal du 22 avril 2018, des familles avec enfants mineurs peuvent être détenus dans ces centres. Son exécution a été suspendue par le Conseil d’Etat. La suspension intervient en ce que l’article 13 «prévoit que le maintien en maison familiale peut durer jusqu’à un mois sans exclure des centres sur les sites desquels des maisons familiales peuvent être construites, ceux où les enfants seraient exposés à des nuisances sonores particulièrement importantes». La suspension est motivée par l’exposition à des nuisances sonores excessives pendant une période pouvant aller jusqu’à un mois.
(3) La Libre, «Nourriture avariée, cachot pour les malades, distanciation pas respectée: le quotidien dans un centre fermé au temps du coronavirus», https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_nourriture-avariee-cachot-pour-les-malades-distanciation-pas-respectee-le-quotidien-dans-un-centre-ferme-au-temps-du-coronavirus?id=10479522